TF1 et le journal télévisé “à la carte”
Le groupe TF1 a récemment annoncé la mise sur pied d’un nouveau dispositif permettant à ses utilisateurs de créer leur propre journal télévisé. Cette nouvelle approche est développée par le biais de plusieurs plateformes numériques et réseaux sociaux et réunit contenus rédactionnels et audiovisuels. Le géant de l’audiovisuel va ainsi proposer un journal télévisé «à la carte»: plusieurs reportages issus des journaux télévisés traditionnels seront proposés aux utilisateurs, moyennant la création d’un compte et la configuration de leurs préférences personnelles dans le domaine de l’actualité. Cette dé- marche s’inscrit dans la volonté du groupe français de répondre aux nouveaux usages des internautes et d’être en phase avec l’analyse des choix opérés par les citoyens, qui se tournent toujours plus vers les réseaux sociaux pour s’informer. Il ne m’appartient pas de commenter une décision sur l’offre ou la ligne éditoriale d’un quelconque opérateur médiatique, a fortiori privé. Toutefois, je saisis cette occasion pour prendre le temps de la réflexion, car cette démarche nous apprend des choses sur la manière d’organiser l’offre d’information aux publics et sur le risque accru de cloisonner l’accès à celle-ci pour répondre en quelque sorte à la demande des utilisateurs eux- mêmes. Pour rappel, la diversité et le pluralisme des sources sont évidemment essentiels.
À cet égard, répondre aux besoins des citoyens en matière d’information, accompagner les mutations technologiques et rencontrer les publics en fonction de l’évolution de leurs pratiques médiatiques doivent rester des objectifs prioritaires pour les opérateurs de service public. Ainsi, je ne doute pas que cette problématique sera traitée dans le futur contrat de gestion de la RTBF.
- Avez-vous déjà des éléments à nous communiquer sur ce point?
- À votre connaissance, des acteurs médiatiques mènent-ils une réflexion à ce sujet?
- Soutenez-vous des recherches et analyses portant sur la manière d’appréhender l’accessibilité de l’information auprès des internautes, en ce compris les plus jeunes?
- Quelles sont les dynamiques soutenues dans le cadre de l’éducation aux médias?
- Enfin, avez- vous été interpellée sur cette évolution par des journalistes ou des personnes actives dans le secteur de l’information en Fédération Wallonie-Bruxelles?
Réponse de la ministre
[…], le développement d’un journal télévisé personnalisé par le groupe TF1 répond certainement à des tendances médiatiques actuelles. De ce fait, ce nouveau dispositif n’a rien de surprenant. À titre personnel, je ne suis pas favorable à l’extrême personnalisation des contenus d’information. Il con- vient surtout de prendre en considération les tendances à la personnalisation et d’assurer des balises solides pour que les publics aient accès à une offre d’information variée et de qualité.
Je m’interroge également sur la plus-value de cette offre pour les publics, face à la présence des acteurs comme TF1 sur les réseaux sociaux ou autres agrégateurs de contenu. Par le biais de services de ce type, TF1 s’assure surtout un accès aux données des utilisateurs. Il est évidemment intéressant de savoir quel type de public recourt à ce service et quelles sont ses pratiques médiatiques, afin d’estimer l’impact réel du journal télévisé personnalisé sur la consommation de l’information. La question primordiale est de savoir si ce journal télévisé personnalisé constituera ou non la seule source d’information de ses usagers.
En tant que ministre des Médias, j’estime qu’il est tout particulièrement urgent et essentiel de fournir aux citoyens des outils d’analyse permettant de renforcer leur esprit critique. Dès lors, les risques de «bulles» que vous citez, bien que réels, peuvent être contrés par une éducation critique aux médias et une offre d’information qui assure une forme de sérendipité dans les recommandations. Dans ce domaine, j’estime que les considérations diffèrent selon que l’on parle de médias privés ou publics. En effet, le média de service public doit assurer l’accès à une offre d’informations de confiance, de qualité et permettant aux citoyens d’appréhender l’ensemble des enjeux de société. Dans ce cadre spéci- fique, les questions d’organisation algorithmique et de gestion des données à caractère personnel s’avèrent cruciales.
Par ailleurs, les travaux relatifs au prochain contrat de gestion de la RTBF n’en sont qu’à leurs débuts. Toutefois, eu égard à la gestion des données et au développement des algorithmes, la ligne directrice à explorer sera celle de l’éthique, de la transparence et de l’intérêt général. Les outils de recommandation du service public doivent faciliter l’accès aux contenus d’intérêt général, afin d’informer les usagers de la manière la plus complète. Il est toutefois trop tôt pour vous communiquer des éléments concrets au sujet du futur contrat de gestion. En outre, le Plan «Éducation aux médias» prévoit, dans son axe 4, la mise en œuvre d’initiatives visant à étudier la compréhension des usages médiatiques et des pratiques numériques. Cela permettra de développer des recherches portant sur l’accessibilité de l’information. Enfin, à l’heure actuelle, je n’ai pas été interpellée directement par les représentants du secteur à ce sujet. Toutefois, mon cabinet reste bien évidemment à la disposition des opérateurs de l’information.
Réplique du député Fontaine
Je prends bonne note de votre avis a priori défavorable vis-à-vis des démarches du type de celle entreprise par TF1. Que ce nouveau dispositif concerne la radio ou la télévision de service public, vous craignez que les téléspectateurs soient focalisés sur des thèmes qui les intéressent, mais qu’ils soient complètement coupés de tout le reste. Autrement dit, un utilisateur intéressé par le sport pourrait ne plus regarder que des émissions sportives, fai- sant ainsi fi de sujets politiques, commerciaux ou économiques. C’est également l’une de mes plus grandes inquiétudes. TF1 est un groupe privé, mais, comme vous, j’estime qu’un média de service public doit assurer l’accès à une information globale et complète.